Article 1.02
Vouer à la prison les malades psychiques présumés non soignables : psychiatrie légale et «mesures thérapeutiques » du Code pénal Suisse
Cristina Ferreira
Résumé
Les « mesures thérapeutiques institutionnelles », introduites dans le Code pénal Suisse en 2007, ont pour finalité proclamée de réduire le risque de criminalité qu’une personne aux prises avec un trouble mental représente, en l’assujettissant à des soins. Leur légitimation repose sur la protection de la collectivité contre une patientèle psychiatrique réputée difficile, présumée dangereuse et potentiellement récidiviste. D’une durée indéfinie, cette mesure pénale s’apparente à un châtiment lorsqu’elle est exécutée en prison. Incarcération au lieu d’une clinique de soins spécialisés, traitements coercitifs infligés lors de crises de décompensation, absence de soins et de thérapies appropriés dans certains établissements : ces pratiques sont dénoncées par des franges minoritaires de la société civile (journalistes, juristes, médecins, organes de contrôle, associations) et par des personnes concernées qui font recours. Le silence autour de l’efficacité réelle du dispositif s’explique par les multiples fonctions latentes qu’il remplit : préserver la sécurité des hôpitaux psychiatriques, encourager la professionnalisation des experts, perfectionner les techniques criminologiques, développer des formations, étendre l’espace carcéral punitivo-curatif, épargner les juridictions d’un reproche de laxisme face au danger, tracer des frontières morales au sein des malades, enfin, fournir à la collectivité une utopie sécuritaire en cultivant les peurs sociales.
Mots-clés
Mesures Thérapeutiques Institutionnelles, Code Pénal Suisse, Psychiatrie Forensique, Prison, Curabilis
Abstract
This essay rethinks parrhesia—truth-telling under conditions of risk—not as a sovereign speech/act but as a collective, embodied performance. Taking Euripides’s Orestes as its central case, it argues that the chorus offers a model of parrhesia that is rhythmic, relational, and structurally marginal: not a proclamation of truth, but the staging of its conditions. Against juridical authority and epistemic collapse, the chorus does not resolve crisis but gives it form. In a contemporary landscape shaped by educational defunding, the suppression of dissent, and the weaponization of “free speech,” the essay calls for a parrhesiastic mode of scholarship grounded in proximity, complicity, and structural risk. Attuned to the fragile, choreographed conditions under which truth might still be spoken—and heard—it advances not only a theory but a performance. As the inaugural essay in Parrhèsia, it offers a provocation: a model for scholarship that is situated, vulnerable, and committed to fostering collective conditions of truth-telling.
Keywords
Critique; Foucault; Orestes; Parrhesia; Political subjectivity; Regimes of truth; Truth-telling
Introduction
«La prison fonctionne […] comme un lieu abstrait où sont déposés des êtres indésirables afin de nous soulager de la responsabilité de penser aux vrais problèmes qui affectent la communauté dont sont largement issus les détenus» (Davis, 2021 : 17).
Fin 2024, la presse rend public l’état préoccupant d’une jeune femme condamnée cinq ans auparavant pour tentative de meurtre[1]. Au terme d’un procès instruit dans le canton de Vaud, le Tribunal correctionnel ordonne une mesure thérapeutique en milieu fermé (art. 59 CPS), suspendant ainsi la peine d’un an prononcée conjointement; elle a alors 23 ans. Malgré un lourd handicap - trouble du spectre autistique, retard mental et anxiété -, Lola (prénom fictif) est incarcérée depuis six ans. En raison de comportements impulsifs («arrache les lunettes d’autrui, casse des objets, chante, frappe sur les murs, beurre l’interphone, déchire les habits d’une codétenue ou bouscule le personnel»), elle aurait fait l’objet de 67 sanctions (privation de visites, de colis et d’activités), dont 23 jours au total d’arrêts en cellule forte. «Profil atypique, risque de récidive, absence de structure adaptée, les arguments invoqués sont toujours les mêmes et ses proches n’en peuvent plus», peut-on lire dans cet article journalistique décrivant «une situation kafkaïenne».
Le parcours décrit par la journaliste est édifiant. Dès son adolescence, Lola vit des placements dans diverses institutions spécialisées, ponctués par des séjours en psychiatrie. Avant d’être jugée en 2019, à l’aube de ses 20 ans elle est d’abord placée durant un an à l’hôpital psychiatrique de Cery, situé dans les environs de Lausanne. Elle est ensuite transférée dans la prison genevoise de Champ-Dollon[2], à plus de 60km de distance, pour revenir enfin sur le canton de Vaud, à la prison de la Tuilière[3], comptabilisant un total de 264 jours de détention avant le jugement[4]. Bien qu’à chaque démarche en justice entamée par son avocat les tribunaux reconnaissent que la prison ne soit pas un endroit adapté, ils se résignent à la maintenir en milieu carcéral. Aucun foyer spécialisé ne serait prêt à accueillir la jeune femme en raison de «son étiquette de condamnée potentiellement dangereuse». Pour la chroniqueuse judiciaire Fati Mansour, «ce cas est emblématique de la machine infernale qu’est devenu l’article 59 du Code pénal, sorte de fourre-tout sécuritaire paré d’un vernis de soins»[5].
En Suisse, où le droit pénal distingue deux types de sanctions – les peines et les mesures –, c’est à l’occasion de la révision du code pénal de 2007 qu’ont été introduites des mesures thérapeutiques institutionnelles en cas de grave trouble mental (art. 59 CPS). Sur la base d’une expertise psychiatrique, elles sont ordonnées lorsque l’auteur a commis un crime ou un délit en lien avec sa pathologie et lorsqu’il est «à prévoir que la mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble» (art. 59 CPS). Prononcées pour une durée de cinq ans, ces mesures peuvent toutefois être prolongées de manière indéfinie à chaque réexamen du dossier[6]. C’est dire leur extrême utilité pour une politique sécuritaire, d’autant que sans cet outil, argumente le Gouvernement fédéral, «un délinquant irresponsable ne pourrait faire l'objet d'aucune sanction pénale»[7]. La Suisse semble vouloir remettre au goût du jour la doctrine de la défense sociale héritée du 19e siècle, en faisant de la lutte contre la récidive la clé de voûte du système pénal (Allinne & Soula 2010).
Historiquement, ce système dualiste (peines et mesures) est introduit pour la première fois dans le Code pénal suisse en 1942. Tandis que les peines découlent d’un jugement en culpabilité de l’auteur, les mesures sont prononcées à des fins de traitement et/ou de sécurité. Si dès le départ il était prévu par la loi qu’elles soient exécutées dans un hôpital psychiatrique ou un hospice, en pratique, les prisons dotées de colonies agricoles ont été largement privilégiées, au motif que le travail contraint avait des vertus éducatives, notamment pour des hommes délinquants qualifiés de psychopathes antisociaux (Moreau & Ferreira 2020). Au fil des décennies, faute d’établissements spécialisés et malgré des révisions ponctuelles du Code pénal, cet état de fait s’est, peu ou prou, maintenu (Quéloz 2022). Avec la révision de 2007 et les «mesures thérapeutiques institutionnelles», le virage annoncé est celui d’une approche prétendument plus dynamique dans la lutte contre la récidive, au moyen d’évaluations criminologiques régulières et du déploiement de la thérapie forensique qui, en vérité, tarde à se développer en Suisse francophone.
Pour revenir au cas de Lola, au ton incisif, la journaliste dénonce les dérives et décline les responsabilités en jeu : «Les experts qui préconisent trop souvent une mesure pénale dont le but principal reste la protection de la société, les juges qui en font un usage intensif tout en faisant mine de croire qu’un établissement approprié existe ou sera trouvé, les autorités pénitentiaires qui gèrent l’exécution avec la même obsession du risque, l’État qui faillit à couvrir les besoins en matière d’institutions thérapeutiques et, enfin, les politiques qui donnent volontiers dans la surenchère mais jouent aux abonnés absents lorsqu’il s’agit d’assumer le coût élevé de leurs durcissements législatifs. En un mot comme en cent, la Suisse peut et doit faire mieux pour Lola, et pour toute personne que de graves troubles mentaux rendent si vulnérables»[8].
Sous la plume du pénaliste Nicolas Quéloz, les constats sont tout aussi accablants, lorsqu’il écrit que «le prononcé de cette mesure pénale mène à une impasse» et qu’elle est «très rarement couronnée de succès » (2022: 148). En Suisse, depuis près de deux décennies, un concert de voix s’élève pour dénoncer l’hypocrisie des finalités «thérapeutiques» d’une sanction pénale à durée indéterminée (Ferreira & Maugué 2017). Tant que les instances décisionnelles estiment qu’un risque même minime subsiste, la mesure peut être prolongée au motif que «la guérison d’un malade mental ne peut être subordonnée à un délai précis»[9]. Au demeurant, en 2023, le juge de l’application des peines et des mesures a estimé lors d’un nouvel examen du dossier de Lola qu’en dépit des progrès accomplis depuis une hospitalisation psychiatrique dans le canton de Berne, une libération conditionnelle était «prématurée» et qu’il fallait la maintenir en prison, en attendant qu’une institution accepte de l’accueillir. Cette décision a aussitôt précipité Lola dans une grande détresse, son état psychique s’est dégradé et ses réactions intempestives lui ont valu de nouvelles sanctions.
Tout se passe ainsi comme si le système fabriquait ce contre quoi il dit lutter, c’est-à-dire, les risques d’une conduite dangereuse, soi-disant imprévisible. Placer les personnes dans une mise en attente indéfinie, tout en alimentant chaque année leur espoir d’être libérées, constitue une technique sophistiquée d’aliénation. Benjamin Lévy note que dans des conditions où «rien ne paraît durable ou pérenne», la constance du changement fait partie «des moyens de gouvernance insidieux qui empêchent les personnes détenues d’accéder à un stade d’équilibre, de se forger des repères temporels stables» (2023 : 206).
Ce sont ces moyens ubuesques de gouvernance que je me propose d’analyser, en m’appuyant sur des sources diverses (publications juridiques et médicales, rapports institutionnels, presse). Pour illustrer mon propos, j’ai sélectionné des décisions judiciaires récentes, prises par des autorités compétentes dans le canton de Vaud pour statuer sur des recours en matière pénale, en l’occurrence relatifs aux mesures thérapeutiques institutionnelles (art. 59 CPS)[10]. Ce petit corpus n’a nullement la prétention d’être représentatif. En la matière, une étude approfondie reste à entreprendre pour analyser les caractéristiques sociologiques des personnes qui contestent les décisions, tenter de reconstituer leurs itinéraires ainsi que de rendre compte de l’influence des expertises médico-légales sur l’appréhension des problèmes et sur les décisions finalement prises. Ma démarche est donc exploratoire ; elle a pour objectif d’esquisser une problématique pour des développements futurs. Quatre parties composent cet article. Il s’agira dans un premier temps de donner un aperçu de la lourdeur procédurale que caractérise cette disposition pénale et à laquelle participe l’expertise psychiatrique, fréquemment sollicitée à toutes les étapes du processus. Nous verrons ensuite que le système fait l’objet de critiques formulées par des juristes, des commissions de surveillance, des milieux associatifs ; ces protagonistes cherchent, en effet, à maintenir la vigilance sur la banalisation d’excès punitifs, à alimenter le débat citoyen et à capter l’attention des médias[11]. Cependant, ce militantisme maniant l’arme du droit est le fait d’une minorité ; pour l’heure, il ne semble guère produire des effets tangibles sur les pratiques consistant à incarcérer des personnes gravement malades.
Comme nous verrons dans un troisième temps, en Suisse francophone, il n’existe qu’un seul établissement pénitentiaire voué à l’exécution des mesures pénales. Au sein de cette prison médicalisée inaugurée en 2014 (Curabilis), la psychiatrie forensique cherche à se développer, tout en se montrant assez discrète sur le déroulement concret de ses pratiques thérapeutiques et sur leurs bénéfices curatifs pour les personnes détenues. Réputées difficiles, voire ingérables, celles-ci sont soumises à des transferts permanents entre les établissements, comme il sera illustré dans la dernière partie à l’aide d’un exemple. Les destins institutionnels, tracés par l’exécution de article 59 du Code pénal Suisse, s’apparentent au final à des prophéties autoréalisatrices. Aux personnes il est signifié que leur instabilité mentale et leur impulsivité comportementale justifient le prolongement de leur condition carcérale, sans que l’enfermement ne soit jamais mis en cause. En conclusion, je propose des pistes de réflexion quant aux facteurs favorables à l’immobilisme du système.
Encadré : l’injonction pénale de soins
dans le droit pénal Suisse
Le droit pénal Suisse prévoit diverses modalités d’une injonction pénale de soins : les mesures thérapeutiques institutionnelles pour le traitement d’un trouble mental grave (art. 59 CPS), pour les addictions (art. 60 CPS) et pour les jeunes adultes atteints de graves troubles du développement de la personnalité (art. 61 CPS). Au lieu d’un traitement institutionnel, le tribunal peut aussi ordonner un traitement ambulatoire en cas de trouble mental et d’addictions (art. 63 CPS). Pour ce qui est des mesures d’internement, «l’auteur est soumis, si besoin est, à une prise en charge psychiatrique» (art. 64 CPS, al. 4). En 2022, sur un total de 1069 mesures pénales en exécution, 713 relèvent d’un article 59 CPS, 130 de l’article 60 CPS et 70 de l’article 61 CPS[12].
Tandis que les peines sont fixées pour une durée déterminée au terme de laquelle la libération est obligatoire, les mesures sont de durée indéterminée et les libérations sont généralement conditionnelles. La séparation des lieux d’exécution des peines et des mesures privatives de liberté est exigée par la loi (art. 58 CPS), mais le Code pénal autorise que «le traitement institutionnel des troubles mentaux puisse avoir lieu dans une prison» (art. 59 al. 3). Afin de privilégier les soins, l’exécution d’une mesure prime sur la peine prononcée conjointement (la durée de la mesure est imputée sur celle de la peine). Si la mesure est couronnée de succès, la peine n’est dès lors plus exécutée. A contrario, en cas d’échec, la personne doit purger sa peine ; une mesure d’internement (art. 64) peut également être ordonnée, ce qui signifie potentiellement une forme de condamnation à perpétuité tant que les autorités considèrent que le risque de récidive reste élevé. Enfin, le juge peut suspendre l’exécution de la peine privative de liberté au profit du traitement ambulatoire (art. 63 al. 2 CPS).
1. Obsessions sécuritaires et lourdeurs procédurales
Pour le pénaliste Nicolas Quéloz, l’article 59 incarne tout particulièrement «la pratique et l’obsession sécuritaires en Helvétie» (2022 : 144). Alors que comparativement à d’autres pays, la justice pénale Suisse prononce rarement des peines privatives de liberté (entre 12 et 14 % de toutes les peines par rapport à 86 % de peines pécuniaires), dont 45% avec sursis et pour des durées généralement courtes (6,5 % seulement des peines fermes sont d’une durée supérieure à 3 ans), les prononcés de mesures pénales d’enfermement «de durée indéfinie» sont en hausse constante. Avec consternation, l’auteur observe que ce type de mesures a plus que triplé entre 1995 et 2015 (+244% d’augmentation), alors même que les traitements en ambulatoire sont moins liberticides et moins coûteux économiquement (2022 : 137)[13]. De surcroît, les autorités tendent à freiner les libérations : «l’idée de perdre le contrôle sur un délinquant à risque est devenue, écrit-il, la hantise des autorités d’exécution des sanctions pénales» (Quéloz 2022)[14].
En 2023, sont comptabilisées 706 personnes sous art. 59, majoritairement de sexe masculin (648 hommes contre 58 femmes) et de nationalité suisse (464 contre 237 étrangers)[15]. Il s’agit d’une population relativement jeune, la plupart se situant dans la catégorie des 25-34 ans (233), suivie des 35-44 ans (211), 45-59 ans (155), 60 et plus (63). Les moins de 25 ans comptabilisent 44 cas. Ce recensement statistique est néanmoins incomplet puisqu’il ne tient compte que des personnes ayant passé au moins un jour en détention, sans considérer l’exécution des mesures dans des structures non carcérales. Sur ce dernier cas, toujours en 2023, un relevé fait état de 763 personnes placées en Suisse par le pénal dans des structures non pénitentiaires (foyers psycho-sociaux, cliniques psychiatriques, institutions spécialisées dans le traitement des addictions), dont la grande majorité était sous article 59 (600 personnes en moyenne)[16].
Or, sur les profils sociologiques de cette population pénale et sur leur parcours de vie, l’état des savoirs statistiques est inexistant : rien n’est connu sur le capital scolaire, les métiers exercés avant la condamnation, l’état civil et la situation familiale, le logement, les revenus, etc. On ignore également si les personnes bénéficient de dispositifs de protection sociale (assistance publique, rentes d’invalidité, assurance-chômage) et/ou civile (curatelles). L’invisibilité sociologique de cette population est saisissante, tout comme l’effacement de la diversité des itinéraires conduisant à une injonction pénale de soins. Les personnes sous article 59 sont surtout appréhendées au prisme de leur triple identité de «malades mentales» (psychiatrie), «délinquantes/criminelles» (droit pénal) et «catégories à risques de récidive» (criminologie).
Non seulement «les procès pénaux dans lesquels des mesures (thérapeutiques ou sécuritaires) sont prononcées sont beaucoup plus chronophages et coûteux», mais ils donnent «fréquemment lieu à des recours» (Quéloz 2022), même si en la matière on ne dispose pas de données statistiques. Les lourdeurs procédurales doivent beaucoup à la surenchère d’évaluations à toutes les étapes[17]. Ainsi, dès la phase d’instruction, les magistrats mandatent des expertises diverses (forensiques, psychiatriques, criminologiques), transmises aux parties lesquelles peuvent dès lors exiger des compléments, voire en requérir de nouvelles. Ensuite, lors du jugement, ont lieu des passes d’armes entre la défense et l’accusation, notamment autour des expertises, aboutissant souvent à des recours contre les décisions. Finalement, la longue période d’exécution de la sanctions est jalonnée par une multitude d’enjeux (libération conditionnelle, prolongation ou changement de la mesure) donnant lieu, encore une fois, à des expertises et à des recours (appréciation des risques de récidive, degré de dangerosité, évaluation du succès ou de l’échec de la mesure). A toutes ces étapes du processus, des recours sont fréquemment déposés auprès de la plus haute instance, soit le Tribunal fédéral. Nicolas Quéloz relève ainsi qu’en 2015, sur un total de 727 arrêts rendus en matière pénal par cette juridiction, 42 ont concerné des mesures pénales. «C’est un signe, écrit-il, que la question des mesures pénales occupe toute la chaîne et la hiérarchie judiciaire» (2022 : 140).
Dans un contexte où les politiques pénales sont focalisées à l’excès sur le risque de récidive, une pression judiciaire s’exercerait de plus en plus sur les experts psychiatres. Mais si le système perdure et tend même à s’intensifier, ce n’est pas sans le concours d’un champ d’auxiliaires qui trouve ainsi l’occasion historique pour se développer. En effet, la dynamique de professionnalisation de ces experts est très récente (début du 21e siècle), elle coïncide avec la révision du Code pénal de 2007[18]. Depuis lors, une myriade de spécialistes en criminologie, en psychiatrie légale et thérapie forensique, intervient en amont, durant et en aval des jugements. La professionnalisation ne concerne toutefois pas tous les hommes de l’art qui répondent aux mandats. Compte tenu de la pénurie d’experts pour satisfaire une demande devenue exponentielle, aux missions répondent ainsi des psychiatres sans formation spécialisée, sans supervision et sans l’expérience nécessaire. Directeur de l’Institut de psychiatrie légale à Lausanne, Philippe Delacrausaz regrette que, pour l’heure, la formation ne soit pas une exigence, ce qui explique selon lui la qualité douteuse de certains rapports[19].
Au surplus, en Suisse, les orientations épistémologiques manquent d’uniformité (Moulin & Delacrausaz 2024), avec des divergences marquées observées entre les régions germanophones et francophones. Dans les premières, les experts se basent, pour l’essentiel, sur des outils actuariels (instruments d’évaluation standardisée du risque et l’utilisation d’algorithmes), soit une approche quantifiée à des visées prédictives. L’enjeu pour ces experts est de se parer d’une «clinique objectivante, fondée sur des preuves». A contrario, dans les cantons francophones, certains experts cherchent à aller au-delà des questionnaires standardisés, valorisent une approche psychodynamique, de manière à restituer les liens entre «le sujet, son histoire et son environnement dans une tentative de subjectivation de l’acte commis» (Gravier 2022 : 442). Or, ils seraient plutôt rares à défendre cette démarche, déplorant par ailleurs l’attitude défiante des autorités vis-à-vis d’expertises jugées trop analytiques.
Toujours est-il que dans leurs décisions, les tribunaux se focalisent sur les facteurs de risque, l’inventaire de diagnostics psychiatriques et les scores du risque de récidive. Le très médiatisé expert français, Daniel Zagari, observe ainsi qu’en Suisse, où «la pression sur l’expert est très forte» […] la crainte de se voir reprocher de sortir du champ de compétences de la psychiatrie est telle que la plume s’arrête là où commence le questionnement psychodynamique» (2021 : 214). Les pratiques des confrères suisses, qui lui ont été données à observer lors de missions, se caractérisent par des «rapports très sérieux et circonstanciés, de véritables pavés inattaquables sur les plans déontologique et scientifique […], mais qui esquivent les dimensions relationnelle et psychodynamique» (idem), laissant de côté «la clinique de l’acte» proprement dite.
Par ailleurs, très rares sont les psychiatres à expliciter un point de vue critique sur la scène publique. Tandis qu’au cours des années 1970-1980, l’enfermement carcéral de malades psychiques et de personnes toxicodépendantes a déclenché en Suisse des controverses intenses auxquelles ont participé des psychiatres qui ont alors publicisé leurs dissensions profondes (Ferreira & al. 2024), de nos jours, l’expression ouverte d’une conflictualité interne à la corporation est comme proscrite. En raison du secret de fonction et interdits d’expression médiatique par les autorités dont ils dépendent, « les thérapeutes qui se trouvent impliqués dans les soins dans cet espace singulier [la prison] expriment, souvent en catimini, leur désarroi devant le rouleau compresseur pénitentiaire et les injonctions qui leur sont faites » (Gravier 2022 : 469).
2. L’enfermement carcéral comme destin normalisé
Les procédures chronophages permettent aussi d’esquiver les problèmes qui fâchent. En effet, ces mesures sont censées se dérouler dans un établissement approprié (art. 56 al.5 CPS), doté d’un personnel permanent de soins et d’une offre socio-thérapeutique variée. Cependant, ce type de structures est encore en nombre très insuffisant pour répondre aux besoins, notamment en Suisse francophone. Par ailleurs, comme dans le cas de Lola cité plus haut, les foyers et les cliniques psychiatriques peuvent s’opposer à accueillir des justiciables sous mesure pénale dont le dossier laisse présager la nécessité d’un encadrement intensif et des moyens sécuritaires élevés. Fruit d’une politique sociale déficitaire, au lieu d’une institution de soins spécialisés, la loi prévoit la possibilité de la prison (art. 59 al.3 CPS), l’un des aspects les plus controversés du dispositif. Dans ce cas de figure, la jurisprudence du Tribunal fédéral (la plus haute juridiction en Suisse) conçoit «le traitement» sous une forme minimaliste, sans exigence de la présence permanente de soignants et avec un «suivi psychothérapeutique relativement lointain», ce qui correspond effectivement à la plupart des réalités carcérales.
Soit le cas d’un homme, dont l’univers mental est «régi par des thèmes délirants et hallucinatoires» et qui est jugé pénalement irresponsable en 2022 pour avoir commis des vols en lien avec sa consommation de substances[20]. En détention préventive depuis 2021, il écope d’une mesure (art. 59 CPS). Voulant quitter la prison, il fait sans succès appel en avril 2023 pour demander un traitement en ambulatoire, ou un placement dans un établissement pour jeunes adultes. L’expertise avait conclu à un score relativement élevé du risque de récidive, en raison d’une «introspection déficitaire» chez un homme dépourvu d’un réseau de soutien et incapable de formuler des «projets de vie réalistes». Souffrant d’une maladie psychotique sévère dont il n’aurait pas conscience, l’expertisé «n’est ni disposé, ni en mesure de consentir au traitement préconisé», comme l’a montré l’échec d’expériences passées (placements contraints et suivis en ambulatoire). Sans craindre l’incohérence, la psychiatre experte préconise tout de même un traitement (médication, psychoéducation et sevrage) susceptible de permettre «un contact avec la réalité plus adéquat», une «meilleure résistance au stress» et «la possibilité de recréer un réseau social favorable».
En Suisse comme dans tant d’autres pays, la prison constitue le dernier lieu de relégation pour les malades devenus indésirables au sein des hôpitaux psychiatriques, c’est-à-dire, ceux et celles qui ne répondent pas aux attentes d’alliances thérapeutiques, mettent au défi la bienveillance soignante, résistent aux approches pharmaceutiques sans avoir pour inquiétude les prérogatives gestionnaires d’une optimisation des lits (Lévy 2023). Une étude réalisée à Lausanne montre que vivre à répétition des hospitalisations sous contrainte et sur de longues périodes compte parmi les facteurs de risque de violences commises par une patientèle jeune, désocialisée, vivant en foyer, souffrant de troubles cognitifs et d’abus de substances psychoactives (Camus & al, 2022). Sur 4158 patients admis durant la période de quatre ans analysée, 414 ont présenté des comportements violents. Pour prévenir ces risques, les auteurs recommandent un «case management clinique intensif».
À défaut d’un tel accompagnement, une partie de cette patientèle, sans amarres dans l’existence et signalant leur désespoir par des actes punissables, vient à grossir les rangs des prisons[21]. Au sein de la population incarcérée en Suisse, on estime entre 50 à 75% la proportion qui souffre de pathologies psychiatriques nécessitant des soins, offre inégalement disponible selon les régions et les établissements pénitentiaires comme nous le verrons[22].
Responsable du service de psychiatrie légale dans le canton de Neuchâtel, Dominique Marcot juge la situation d’autant plus problématique en Suisse romande où il n’existe aucune clinique médico-légale[23]. Il rappelle alors dans quelles conditions difficiles sont généralement prises en charge les personnes souffrant de graves troubles mentaux[24]: soins psychiatriques en ambulatoire, se déroulant dans un environnement carcéral peu propice à la sauvegarde du secret médical et avec des moyens limités ; impossibilité pour un psychiatre de s’entretenir la nuit avec un détenu au moment où l’angoisse s’intensifie ; absence d’une présence soignante tout au long de la journée ainsi qu’une offre restreinte, sinon inexistante à certains endroits, d’ateliers thérapeutiques et de thérapies de groupe[25].
Vivant des «conflits de loyauté» entre la mission de soins et celle de la surveillance du danger (Merkt & al., 2021), les professionnels qui exercent en prison viennent à se percevoir comme des «conseillers en punition», selon l’expression de Foucault reprise par Bruno Gravier (2023), clinicien et médecin-chef pendant 30 ans d’un service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires en Suisse. Il fait remarquer que l’article 59 «a rapidement été utilisé comme une mesure de sûreté permettant de garder en prison des délinquants inquiétants, finalement peu susceptibles d’évoluer avant longtemps, surtout en l’absence d’un véritable tissu thérapeutique adapté» (2023 : 446).
Toujours est-il que la libération est fortement conditionnée par le constant d’une stabilisation psychique jugée suffisamment rassurante. Alors qu’elle se trouve incarcérée, la personne doit faire preuve de compliance médicamenteuse, d’adhésion aux programmes thérapeutiques (pour autant qu’ils existent), d’introspection vis-à-vis des infractions commises, d’un comportement adéquat, d’une capacité à s’intégrer dans les activités et à élaborer des projets réalistes pour le futur[26]. Tous ces éléments doivent attester qu’elle est «digne de confiance» et qu’un assouplissement du régime peut être progressivement envisageable (passage en «milieu ouvert», conduites accompagnées à l’extérieur, visites aux proches). Au quotidien, les interventions sociales auprès des personnes «sous art. 59» consistent, selon l’expression d’Antille (2029), à «faire diversion» au moyen d’objectifs humbles à performer, à «tuer le temps en jouant la tâche», autrement dit, à détourner l’attention de la personne condamnée, et surtout découragée par un avenir sans cesse obstrué[27].
Le fossé abyssal entre ces exigences élevées et les conditions réelles de détention n’échappent pas à la surveillance d’organes indépendants. En 2017, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT), déplore la «pratique fréquente des tribunaux consistant à prolonger la mesure de l'article 59 CP alors que cette possibilité devrait revêtir un caractère exceptionnel», elle préconise une évaluation minutieuse des alternatives à la détention[28]. Peu d’années plus tard (2019-2021), cet organe prend acte d’inégalités flagrantes sur le territoire, l’offre de soins psychiatriques étant très variable selon les lieux d’enfermement, allant de consultations quotidiennes à l’absence de visites régulières. Ainsi, dans les prisons régionales de petite taille, «les personnes détenues qui se plaignent de souffrances psychiques ou qui en présentent des symptômes sont majoritairement traitées avec des psychotropes (tranquillisants, somnifères, neuroleptiques et antidépresseurs) et n’ont que peu accès à des entretiens thérapeutiques»[29]. Les différences existent entre les établissements pour ce qui est de la traçabilité écrite des décisions de placer les personnes en cellule de sûreté.
Les critiques émanent également d’instances internationales, à l’instar du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) qui, en 2021, fait l’inventaire des problèmes observés lors de sa visite[30]: lenteurs excessives du déroulement des mesures aboutissant à des incarcérations de longue durée, manque de considération de la nocivité d’une détention prolongée sans perspectives de libération, « s'effectuant la plupart du temps dans un milieu carcéral surpeuplé, avec un personnel en sous-effectif et non spécialisé», enfin, «mise à l'isolement des personnes détenues en situation de handicap psychique». Armé de ces constats, un député socialiste interpelle en 2022 le Gouvernement fédéral pour revendiquer la création d’institutions thérapeutiques fermées afin de répondre aux besoins des personnes sous art. 59[31]. Constitué à Lausanne en 2021, le collectif Action Maladie Psychique et Prison (AMPP)[32] s’engage, quant à lui, à alimenter le débat public et investit l’arène judiciaire pour qu’un jeune détenu souffrant de schizophrénie quitte la prison, soit placé dans un établissement psychiatrique socio-médicalisé (EPSM), afin de bénéficier par la suite d’un traitement en ambulatoire. En 2024, ce collectif lance une pétition (Le trouble mental n’est pas un crime) pour réclamer auprès des pouvoirs publics la construction «d’une institution fermée spécialisée en santé mentale offrant des soins de qualité garantissant la sécurité pour l’individu et la société».
3. La prison-hôpital Curabilis : faire de nécessité vertu
Les centres spécialisés dévolus à l’exécution des mesures pénales sont très peu nombreux et tendent à se concentrer en Suisse germanophone[33]. Inauguré en juin 2014 dans le canton de Genève, juxtaposé à la prison de Champ-Dollon et à proximité de l’hôpital psychiatrique de Belle-idée, Curabilis est le seul établissement pénitentiaire de ce genre desservant la Suisse latine (Tessin inclus)[34]. Cette prison-hôpital (77 places)[35], hautement sécurisée et dont le coût de construction s’est chiffré à plus de 100 millions de francs suisses [165 millions de dollars canadiens], accueille majoritairement des hommes sous art. 59. L’encadrement est réparti entre trois équipes (médico-soignante, sécuritaire-disciplinaire, intervenants socio-judiciaires)[36].
Les débuts de Curabilis sont assez tumultueux. Les tensions sont alors exacerbées par une affaire criminelle survenue en 2013[37], mais produisant dans les années suivantes des effets en cascade, dont le renforcement d’une politique sécuritaire, le freinage des libérations conditionnelles et la fermeture durable de l’unité de sociothérapie. Dans ces conditions, confronté de surcroît à de grandes difficultés pour recruter du personnel dûment formé, le premier directeur démissionne après cinq mois seulement[38]. Par ailleurs, lors de sa visite en 2016, la Commission nationale de prévention contre la torture constate avec perplexité l’inexistence à Curabilis d’une «thérapie par le travail» et d’une «salle occupationnelle»[39]. Le ton grave, la Commission constate également l’absence de plans d’exécution des mesures pour de nombreux détenus, alors qu’ils sont destinés à «améliorer le pronostic légal», en vue d’un retour à la vie civile.
Il faut attendre 2024 pour que des professionnels de Curabilis publient pour la première fois les résultats d’une étude, en l’occurrence portant sur les premiers 204 détenus admis (Weber et al. 2024)[40]. La période exacte de leur incarcération n’est pas précisée, on peut néanmoins supposer qu’elle concerne les premières années de fonctionnement de Curabilis, ponctuées par une grave crise. Rien n’est mentionné sur les effets produits par ce contexte défavorable sur les prises en charge d’une population souffrant de pathologies sévères, transférés dans leur grande majorité d’autres prisons (91,4%). L’évolution de l’état des détenus et la durée de leur incarcération sont dès lors imputables aux seuls déterminants individuels, abstraction étant faite d’un environnement carcéral délétère tel que décrit dans les médias[41].
Dans le groupe analysé, le «profil-type» est celui d’un homme célibataire sans enfants, dont la moyenne d’âge est de 36 ans et, dans 57,8% des cas, de nationalité étrangère. Le capital scolaire est assez faible (35,3% ont fait l’école obligatoire, 25,5% un apprentissage, 8,3% des études universitaires) et un tiers a interrompu sa scolarité en raison de « troubles du comportement ». Aucune mention n’est faite à l’exercice d’un métier avant la condamnation, généralement pour plusieurs infractions de nature différente[42]. Autrement dit, le passé professionnel et la condition socio-économique sont des variables qui ne sont pas prises en compte. A considérer les principales infractions en cause qui ont justifié la mesure pénale, 78% concernent une atteinte à l’intégrité corporelle, 64% des atteintes contre le patrimoine, 25% contre l’intégrité sexuelle. La moitié a commis une infraction à la Loi fédérale sur les stupéfiants. Quant aux profils diagnostiques, parfois combinés chez une même personne, les troubles psychotiques prédominent (67%), suivis de troubles liés aux substances (60%) ; 13% souffrent d’un retard mental et 5% de «troubles de la préférence sexuelle» (pédophilie, voyeurisme, fétichisme).
Sur les 204 cas analysés, 134 ont quitté Curabilis : 56% ont été transférés en foyer ou à l’hôpital psychiatrique, 30,6% est retourné en détention ordinaire et environ 10% ont été expulsés vers leur pays d’origine. Deux hommes ont été libérés sans bénéficier d’un suivi et trois sont décédés, dont deux suicides. En somme, les séjours qui peuvent s’étendre sur plusieurs mois voire des années, n’aboutissent pas à un desserrement du filet sécuritaire. Comme indiqué, plus la durée de la mesure pénale est longue, moins il y a de probabilités que la personne soit transférée vers un foyer socio-éducatif, une alternative surtout destinée aux plus jeunes ayant commis des délits «sans violence interpersonnelle». Ceux qui souffrent d’un trouble de la personnalité et ayant commis un crime d’ordre sexuel, auraient plus de probabilités que les autres de retourner dans une prison ordinaire. Ces hommes qui ne guérissent pas avec les moyens de la psychiatrie forensique sont donc voués à l’enfermement durable. Pour le psychiatre et directeur médical de l’établissement, l’espoir doit toutefois demeurer pour d’autres, ce qui rend légitime les dépenses considérables en termes d’encadrement médico-soignant et sécuritaire. Comme il l’explique à la presse, «Curabilis coûte 1250 francs par jour, par détenu [2000 dollars canadiens]»[43]. Or, indice probable d’un pessimisme renforcé par le temps, à la veille de son départ de la direction de Curabilis, Gianakopolous estime qu’au lieu d’accroître les moyens de la prison-hôpital, les pouvoirs publics devraient plutôt investir dans de petites structures médicalisées d’hébergement[44].
4. Les va-et-vient entre les établissements : gouverner la folie par des transferts permanents
À l’unisson, les voix critiques réitèrent le même argument : sans bénéficier de suivis psychothérapeutiques réguliers, les personnes détenues risquent de voir leur santé psychique se dégrader et se voir imputer la responsabilité d’actes ramenés à une «impulsivité incontrôlable». Englouties dans un cercle vicieux, elles subissent ainsi des prolongements de la mesure ; leurs réactions négatives les précipitent dans des escalades protestataires qui se retournent fatalement contre elles. Lors d’évaluations périodiques par des commissions d’experts ce sont «les mises en échec» des traitements par la personne concernée qui sont mises en exergue, la dureté de l’environnement carcéral n’étant jamais mis en cause. Comme dans l’exemple qui suit, l’incarcération provoque de fortes angoisses sur un terrain psychique miné de longue date; une détenue déploie une énergie inouïe pour se faire entendre, provoquant ainsi un climat exténuant de tensions partout où on la place et la déplace.
Une procédure pénale est ouverte en avril 2019 contre une femme qui envahit depuis une année les standards téléphoniques hospitaliers et policiers lausannois, à raison de plusieurs centaines d’appels par jour[45]. Selon l'expertise psychiatrique (9.11.2019), la prévenue souffre depuis plusieurs années d'un trouble mixte de la personnalité sévère, d’impulsions tout aussi sévères (dont les multiples appels téléphoniques faisaient partie), ainsi que d'une dépendance aux sédatifs. Considérant que le risque de réitération d'actes de même nature était élevé, l’expertise recommande «la mise en œuvre d'un traitement résidentiel dans un établissement psycho-social médicalisé en parallèle au traitement psychothérapeutique de fond». Il est néanmoins précisé qu’«une telle prise en charge serait très exigeante pour les équipes soignantes», soit «empêcher, dans un environnement contrôlé, l'accès à un appareil de communication et procéder à une régulation de la tension par des moyens relationnels adaptés». Par ailleurs, l’expertisée avait derrière elle un passé de plusieurs hospitalisations contraintes qui n’ont fait que péjorer son état, aux dires de son médecin traitant.
«En raison d'un risque de récidive dont les conséquences, dans le contexte de la crise sanitaire [Covid-19], pouvaient être désastreuses», en février 2020, elle est d’abord incarcérée à la prison préventive de Champ-Dollon (Genève). Suite à une décompensation psychotique, elle est transférée d’urgence à l’Unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire, où elle refuse les antipsychotiques. A nouveau transférée à Champ-Dollon, assez rapidement il est constaté que le contexte carcéral «ne permettait pas de lui offrir le cadre rassurant et structurant dont elle avait besoin». Dès lors, elle est transportée le 19 mai 2020 à la prison vaudoise pour femmes La Tuilière, où elle bénéficie d’une prise en charge médico-infirmière «rapprochée» et d’un traitement anxiolytique (le seul qu’elle consent). Or, la situation se dégrade. Au cours des ateliers créatifs, elle manifeste une «agitation psychomotrice anxieuse». Son usage compulsif des interphones (entre cent et deux cent fois par jour), suscitant des conflits avec les autres détenues, est sanctionné par des placements en cellule sécurisée. Envers le personnel, elle se montre insultante et agressive. En attente de son jugement, son anxiété s’intensifie et le service médico-psychiatrique indique «ne pas disposer d'une offre de soins suffisamment adaptée au grave trouble psychique» dont elle souffre. Peu avant sa condamnation pénale, sous décision de la Justice de paix, elle fait l’objet d’un placement à des fins d’assistance[46], en raison d’un «grave état d'anxiété avec désorganisation importante, perte d'appétit et de poids». Ce placement civil se déroule à Curabilis (Genève). En septembre 2020, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de Lausanne la condamne à une peine privative de liberté de neuf mois (sous déduction de 187 jours de détention avant jugement) et à une amende « pour fausse alerte, empêchement d'accomplir un acte officiel et insoumission à une décision de l'autorité ». Le tribunal ordonne la suspension de la peine au profit d’un « traitement institutionnel dans un établissement psycho-social médicalisé». En attendant, le risque élevé de récidive motive le tribunal à ordonner derechef «le maintien de la condamnée en détention pour des motifs de sûreté». Contre cette décision, en 2020 elle fait en vain recours auprès de la juridiction cantonale. Dans ses écrits, où elle «demande des soins appropriés à son état», elle dénonce avoir subi de «mauvais traitements de la part des gardiens de la prison» et des mesures d’isolement. Son recours est aussi rejeté par le Tribunal fédéral en janvier 2021 au motif qu’elle «ne pouvait pas se plaindre d'un manque de soins médicaux appropriés » et que « son régime carcéral a été adapté dans la mesure du possible». Enfin, ses allégations de mauvais traitement subis en prison sont battues en brèche par le fait qu’elle n’indiquait pas «quel genre de renseignements auraient dû être requis » par-delà tout ce qui était indiqué dans les divers rapports de l'expert psychiatre, des directions d'établissements et du service médico-psychiatrique pénitentiaire. Pour la justice, ces sources apportaient suffisamment d’informations sur les conditions ayant justifié les mesures d’isolement.
On le voit : au fil du temps, les vies enfermées de ces justiciables sont scandées par des évaluations et des décisions, signifiant souvent à quel point ils sont devenus indésirables, faute de consentir aux traitements, ou parce que tout semble échouer. À leur endroit, le scepticisme thérapeutique est à peine déguisé, ou alors il est couvert par des recommandations dont il est permis de douter qu’elles soient réalisables. Ces personnes jugées à la fois très malades et socialement périlleuses, car désaffiliées et sans pedigree valorisé à faire valoir, à propos desquelles pratiquement rien ne laisse apparaître une lueur d’espoir quant à leur possibilité de rejoindre un jour une communauté disposée à les recevoir, sont finalement condamnées à l’errance institutionnelle. Mises à distance des cliniques psychiatriques, elles sont aussi des persona non grata pour les prisons qui se déchargent momentanément des conflits par des transferts permanents. Dès lors, tout bien considéré, l’exécution de l’article 59 en prison semble combiner les quatre grandes tactiques (l’exclusion, la marque, le rachat et l’enfermement) qui jalonnent l’histoire des régimes punitifs (Foucault 2013).
Pour conclure
Lorsqu’ils sont interrogés par les médias à l’occasion d’affaires criminelles, les experts déclarent généralement que «le risque zéro n’existe pas». Cependant, certains n’hésitent pas à évoquer l’incurabilité, à l’instar du psychiatre genevois Panteleimon Gianakopolous pour qui «toutes les personnes ne sont pas soignables»[47]. Il se peut qu’il dise tout haut ce que nombre de psychiatres pensent tout bas. Toujours est-il que le fait de considérer que des catégories de la population pénale soient irrémédiablement vouées à l’échec thérapeutique semble sonner comme une prophétie auto-réalisatrice. Comme le fait remarquer Lévy : «La perception de la personne détenue comme intrinsèquement dangereuse est en elle-même une source d’humiliation sociale, une cause d’exclusion du champ de l’humanité. L’indignité consiste ici à ne pas pouvoir participer au monde commun, à rester relégué à ses marges» (2023 : 203).
Dans le langage courant, «on qualifie d’irrécupérables des personnes ou des choses […] dont on cherche le plus souvent à se débarrasser parce qu’elles résistent à toute entreprise de réinsertion ou de recyclage, voire parce qu’elles sont considérées comme dangereuses», écrivent Guitard & al. (2019 : 9). Le parallélisme établit entre les choses (justice environnementale) et les êtres (justice sociale et pénale) n’est pas hasardeux. Tant la surproduction de déchets industriels que celle d’une population paupérisée et donc surnuméraire, engendrent d’immenses problèmes gestionnaires pour l’État. À l’image des produits toxiques qui ne sont guère susceptibles d’être traités pour réduire leur caractère polluant, des catégories de la population sont jugées incorrigibles, non amendables ou encore incurables. Elles sont dès lors vouées à évoluer dans des espaces retranchés de la vie ordinaire et soumises à des traitements spécifiques. L’irrécupérabilité est «un point où le processus de désaffiliation s’interrompt pour se muer en un état irréversible, en une exclusion définitive» (Guitard et al. 2019 : 9).
Il n’est du reste pas anodin que la métaphore de «la poubelle» pour qualifier la prison soit d’usage chez des auteurs abolitionnistes. «La prison est devenue une sorte de trou noir dans lequel sont déposés les détritus du capitalisme contemporain», déplore Angela Davis (2021 : 18), rajoutant que «notre surconsommation d’images carcérales dans les médias», conjuguée à l’invisibilité des conditions réelles de détention, contribue à normaliser l’existence de la prison. Au regard des échecs répétés de réformes voulant humaniser la prison, certains auteurs constatent ainsi que «l’essentiel des lieux d’enfermement pénaux n’est qu’un espace d’attente transitoire, où rien n’est possible, si ce n’est dans le meilleur des cas, de garder les corps intacts» (Artières & al. 2004 : 33).
Ces catégories de la population ne sont pas pour autant complètement irrécupérables. L’industrie du châtiment est lucrative, observe encore Angela Davis (2021) à propos des bénéfices financiers tirés du «complexe carcéro-industriel». La gestion des irrécupérables repose sur des investissements considérables, dans la construction de nouvelles prisons dont l’équipement technologique sécuritaire est de plus en plus sophistiqué[48]. Pour Dardel et Blanc (2023), ce processus qu’ils observent en Suisse francophone (édification de nouveaux établissements, toujours plus grands et se regroupant en sites multifonctionnels, rassemblant diverses formes de détention), «s’explique avant tout en termes de contrôle des populations migrantes irrégulières et de gestion médicalisée de la déviance»[49]. En pleine expansion territoriale, le complexe carcéral, dont fait partie Curabilis, et ses satellites (rétention administrative des étrangers voués à l’expulsion du territoire), démentent selon eux «le mythe de petites prisons à taille humaine» entretenu en Suisse. La topographie genevoise des lieux d’enfermement témoigne par ailleurs d’un continuum géographique et symbolique entre la prison et l’hôpital psychiatrique, dont le proche voisinage facilite la valse des transferts.
Simultanément à la production industrielle exorbitante de déchets, on voit se développer une industrie du recyclage afin de les réintroduire, une fois transformés, dans les circuits économiques. Il n’en va pas si différemment dans le champ pénal avec l’essor des spécialistes en criminologie, le déploiement de leurs techniques évaluatives des risques et du potentiel de resocialisation. L’expertise criminologique, médico-légale et forensique joue en effet un rôle prépondérant dans ces procédés visant à identifier ceux et celles pouvant être récupérés par et dans «le monde libre». Une question essentielle demeure toutefois sans réponse: sur le plan de l’amélioration de l’état de la personne, que sait-on «l’efficacité réelle» de l’article 59 et des thérapies psychiatriques forensiques ? Si les spécialistes décrivent des modèles interventionnistes qu’ils jugent prometteurs et qu’ils s’efforcent d’implanter (Weber & al. 2024), en revanche on peine à trouver dans leurs publications des résultats sur les bénéfices concrets attendus par le législateur (réduction du risque de récidive ? réhabilitation sociale attestée par les parcours de vie ultérieurs des personnes libérées ?).
En définitive, il se peut que trop d’intérêts soient en jeu et en concurrence pour que les pratiques instituées changent fondamentalement. Les institutions de soins et d’éducation spécialisée désirent maintenir à distance une patientèle du pénal dite dangereuse. Les juridictions craignent de se voir reprocher l’inefficacité de leurs décisions et de leurs pratiques de contrôle social. L’engouement pour le problème de la récidive, outre son enjeu politique et électoral d’haute importance, profite également aux sciences criminologiques, aux cliniques forensiques, aux expertises judiciaires qui voient là un moyen de répondre à une attente étatique, mais aussi de perfectionner leur outillage et leur savoir.
Pour terminer en prenant un peu de hauteur, il ne serait pas superflu pour les agents d’État, chargés du contrôle de ces populations ingouvernables, d’intégrer davantage de considérations de philosophie politique et morale. «Le mythe d’une exclusion juste ou justifiée, renvoyée à un avenir hypothétique, reste un mythe. Il procède d’une conception étroite de l’individu selon laquelle toutes ses capacités sont d’un seul type» (2010 : 50), écrit le philosophe Michael Walzer. Dans sa perspective, un monde pluraliste permet de reconnaître à toute personne des capacités, des qualités et des compétences, à condition de ne pas hiérarchiser leur valeur sociale et symbolique. Walzer part du scénario selon lequel un individu échouerait sur tous les plans de son existence (école, travail, relations personnelles), empruntant au surplus la voie de la délinquance et de la marginalité. «Nous pourrions être tentés d’abandonner ses personnes à leur triste sort en ne nous reconnaissant qu’un minimum d’obligations à leur égard ou de maintenir un filet de sauvetage en leur faveur», note-t-il, précisant toutefois qu’«il est impossible d’imaginer une société juste au sein de laquelle les personnes confrontées à cette situation seraient très nombreuses».
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Références
[1] Fati Mansour, «Le cruel destin d’une jeune autiste, enfermée depuis six ans dans une prison vaudoise», Le Temps, 9.12.2024. Vivant alors dans un foyer, en 2017, la jeune femme attaque au ciseau un autre résident (plaies superficielles, sans mise en danger pour la victime). L’expertise qui conclut à une responsabilité fortement diminuée et à un risque de récidive, préconise un foyer ou une institution psychiatrique, soulignant néanmoins la difficulté à trouver «un endroit adapté à son profil et disposé à l’accueillir».
[2] Ouverte en 1977 à Genève, la prison préventive de Champ-Dollon, vétuste et surpeuplée, principalement masculine, comporte une section pour les femmes (40 places). Pour un aperçu des conditions de détention (23h sur 24 en cellule), voir le témoignage d’une détenue, alors enfermée depuis 11 mois, publié sur le site de Prison Insider. https://www.prison-insider.com/articles/suisse-aujourd-hui-comme-hier
[3] Inaugurée en 1992, située dans le village de Lonay (canton de Vaud), la prison de la Tuilière (82 places) est depuis 2021 exclusivement réservée aux femmes, tout régime de détention confondu.
[4] En Suisse, le Code de procédure pénale (art. 221, let. c) prévoit la détention provisoire ou la détention pour des motifs de sûreté lorsque la personne prévenue est récidiviste, et compromet sérieusement la sécurité d’autrui pour des crimes ou des délits graves. La jurisprudence admet cependant ces détentions «en l’absence d'antécédents» (Arrêt du Tribunal fédéral du 23 septembre 2011, 1B_440/2011).
[5] Fati Mansour, «La mesure pénale, machine infernale», Le Temps, 9.12.2024.
[6] Pour des explications plus détaillées, voir l’encadré.
[7] Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal suisse du 21 septembre 1998, p. 1875.
[8] «La mesure pénale, machine infernale», Le Temps, 9.12.2024.
[9] Message du Conseil fédéral, op. cit., p. 1887.
[10] Les décisions judiciaires, dont il est question dans cet article, ont été sélectionnées à partir de la base de données de la jurisprudence du canton de Vaud. https://www.vd.ch/justice/jurisprudence-et-lois/jurisprudence-du-tribunal-cantonal-et-du-tripac.
[11] La Radio-Télévision Suisse romande (RTS) consacre diverses émissions à cette problématique. A titre d’exemples : Détenus psy, condamnés à l’oubli, Temps présent, 17.09.2015 (55’); L’article 59 : un article controversé, Mise au point, 12.06.2022 (14’). Carole Pirker, Détenus psychiques : le piège de l’art. 59, Hautes fréquences, 28.04.2024 (56’). Explosion du nombre de personnes placées sous le régime du petit internement, RTS-info, 13.06.2022.
[12] Office fédéral de la statistique (OFS), Etat de la banque de données au 18.10.2023. Exécution des mesures : effectif moyen selon le genre de mesures.
[13] Quéloz commente les évolutions statistiques (1995-2015) tenant compte d’une disposition du droit antérieur (Traitement pour les délinquants anomaux, art. 43 CPS) remplacée en 2007 par l’art. 59.
[14] D’après André Kuhn, «on ne ressort […] généralement d’une mesure que par l’intermédiaire d’une libération conditionnelle qui permet de «tester» l’individu durant un certain délai d’épreuve» (2010 : 50). L’autorité doit examiner l’opportunité d’une telle libération une fois par année.
[15] Office fédéral de la statistique (OFS), Exécution des mesures : effectif moyen avec traitement des troubles mentaux. État de la banque de données au 9.10.2024. Tandis que les personnes de nationalité étrangère sont surreprésentées en exécution de peine (67%), celles qui ont la nationalité suisse sont majoritaires (64%) en exécution de mesure. Office fédéral de la statistique. Exécution des sanctions en 2023, 11.11.2024.
[16] Centre Suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales (2024), Monitorage de la privation de liberté. Chiffres 2023, CSCSP, Fribourg.
[17] Le Code de procédure pénale suisse (CPP) prévoit deux voies de recours cantonales (l’appel et le recours). A considérer le canton de Vaud, la Cour d’appel pénale est l’autorité compétente pour statuer sur les appels formés contre les jugements de première instance (tribunaux d’arrondissement). Pour ce qui est de la Chambre des recours pénal, elle statue sur les recours formés contre les décisions et actes de procédure de la police, du Ministère public, des tribunaux de première instance, des décisions du Juge d’application des peines et du Tribunal des mesures de contrainte, ainsi que de l’Office d’exécution des peines et du Service pénitentiaire.
[18] La Société Suisse de Psychiatrie Forensique est fondée en 2006. En 2011, est inauguré dans le canton de Vaud, l’Institut de psychiatrie légale rattaché au Département de psychiatrie du Centre Hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Sur les raisons historiques de cette professionnalisation tardive, voir Germann 2014.
[19] «On pose des questions auxquels l’expert ne peut pas répondre», interview réalisée par Suzanne Pasquier, Plaidoyer n° 6, 2017, 6-9.
[20] Tribunal cantonal (Lausanne), Cour d’appel pénale, Séance du 1er février 2024. PE21.015759-JUA
[21] Fin 2024, 6881 personnes étaient détenues dans les 88 établissements pénitentiaires (7251 places) que compte la Suisse, avec un taux d’occupation de 94,9%. La taille de ces établissements, qui relèvent de la compétence des cantons, varie entre 3 et 399 places. Parmi les 4852 postes à plein temps, 3073 concernent la sécurité, 765 le travail social et la formation, 193 des postes sanitaires. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/criminalite-droit-penal/execution-penale/etablissements-penitentiaires.html
[22] Indice tragique de la vulnérabilité en milieu carcéral, les taux de suicide sont dix fois supérieurs par rapport à la population libre (Gattlen 2024).
[23] «La prison n’est pas un lieu de soins pour les graves troubles mentaux». Entretien réalisé par Patricia Meyyan avec le Dr Dominique Marcot, psychiatre et chef de la Filière légale du Centre Neuchâtelois de Psychiatrie, Prison Info, 2024, n°2, 12-15.
[24] Ces conditions ont fait l’objet d’un reportage télévisuel tourné à la prison La Promenade (Chaux-de-Fonds) : «Soigner en prison», émission 36,9°, RTS, 18.10.2023.
[25] Depuis 2022, à la prison de Bellechasse (canton de Fribourg), un programme thérapeutique de jour est proposé aux détenus sous art. 59, pour un petit groupe de 5 personnes.
[26] Contrairement aux détenus en exécution d’une peine privative de liberté qui ont l’obligation d’exercer un travail, les condamnés à une mesure thérapeutique sont simplement «incités» à travailler et pour autant que le traitement le requière ou le permette (art. 90 CPS).
[27] L’exécution des mesures suit un plan individualisé fixant des objectifs à très court terme, jugés réalisables, dont la performance est évaluée au moyen d’outils criminologiques. Pour les éducateurs, ces instruments sont jugés indispensables mais ils ne les dispensent pas d’observer l’impact anxiogène produit sur des personnes en attente d’une libération conditionnelle (Antille 2019).
[28] Commission nationale de prévention de la torture (CNPT). Rapport thématique sur l'exécution des mesures en Suisse du 18 mai 2017.
[29] Résumé du rapport thématique de la Commission nationale de prévention de la torture sur la prise en charge médicale dans les établissements de privation de liberté en Suisse (2019-2021), Berne, janvier 2022.
[30] Rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) au Conseil fédéral du 26 octobre 2021.
[31] «Pour des mesures thérapeutiques institutionnelles conformes à l'État de droit», interpellation de Baptiste Hurni, député socialiste, 22.09.2022. N°22 3973.
[32] Ce collectif émane du Groupement romand d’action et d’accompagnement psychiatrique (GRAAP), fondé à Lausanne en 1987 pour lutter contre le recours à la coercition en psychiatrie L’association organise en 2025 un premier festival de films documentaires sur la santé mentale en prison. https://association.graap.ch/collectif-59/
[33] Le premier centre date de 2006 dans le canton de Zurich, destiné aux jeunes âgés de 16-25 ans.
[34] En Suisse, les établissements de privation de liberté se répartissent entre trois Concordats sur l'exécution des peines et mesures, dont le Concordat latin (cantons romands et le Tessin) auquel appartient Curabilis.
[35] Curabilis dispose de 77 places dans des unités résidentielles et 15 places en unité hospita¬lière de psychiatrie pénitentiaire (UHPP) pour les soins aigus. C’est vers cette unité de crise que sont transférés les personnes détenues (tout régime de détention confondu), mais aussi des patient-es hospitalisé.es en psychiatrie qui s’y trouvent placés sous contrainte.
[36] Le régime de détention prévoit des promenades dans la cour (une heure par jour), l’entretien de la condition physique dans les salles de sport, la formation (cours de français et de mathématique), les ateliers (pâtisserie et théâtre), les thérapies individualisées et en groupe.
[37] Une sociothérapeute a été assassinée à Genève par un détenu lors d’une sortie accompagnée.
[38] Curabilis: une naissance dans la douleur. Son ex-directeur raconte, Info-prisons. 2015. https://infoprisons.ch/wp-content/uploads/2020/11/bulletin_13_curabilis_KaK_02.15.pdf
[39] Rapport au Conseil d’État du Canton de Genève concernant la visite de la Commission nationale de prévention de la torture dans l’établissement pénitentiaire fermé de Curabilis les 14-15.03.2016.
[40] La direction est peu loquace sur le travail entrepris au quotidien avec les détenus, se limitant à de brèves annonces dans la presse. Ainsi, en 2021, «près de la moitié des détenus de Curabilis sont sortis de prison, soit 35 des 77 résidents» (Tribune de Genève, 18.07.2022).
[41] La presse locale rapporte des conditions de travail difficiles marquées par des tensions entre le personnel de surveillance et du soin, ainsi que par des agressions. En 2017, lors d’un procès à Genève, un gardien jugé pour abus d’autorité, aurait exercé une contrainte brutale et injustifiée sur un détenu, causée selon ses explication par un «malentendu» entre gardiens et par un déficit de formation (Le Temps, 17.02.2017).
[42] Si 27% des détenus a commis une infraction isolée, dans deux tiers des cas il s’agit de diverses infractions.
[43] Tribune de Genève, 18.07.2022.
[44] Le Temps, 19.12.2024
[45] Arrêt du Tribunal fédéral (Ire Cour de droit public) du 19 janvier 2021 dans la cause de A. contre Ministère public de l'arrondissement de Lausanne, 1B_591/2020. Dans la source judiciaire, aucune information n’est donnée permettant de la situer socialement.
[46] Le placement à des fins d’assistance est une mesure civile (Droit fédéral de protection de l’enfant et de l’adulte) qui équivaut dans la grande majorité des cas aux hospitalisations psychiatriques sous contrainte. La jurisprudence fédérale autorise, à titre exceptionnel, que ces placements puissent se dérouler en prison.
[47] RTS info, 16.08.2024. Ce psychiatre est alors interviewé au sujet d’un meurtre commis par un récidiviste souffrant d’une schizophrénie paranoïde. Deux ans auparavant, il avait déclaré dans la presse : «Malgré un investissement majeur, certains ne guérissent pas. Il faut en tirer les conséquences et laisser leur chance à d’autres» (Tribune de Genève, 18.07.2022). P. Gianakopolous occupe depuis 2015 le poste de médecin-chef du service des mesures institutionnelles aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et la direction médicale de Curabilis. Il quitte ce poste en mars 2025 pour devenir le directeur général de l’Office cantonal de la santé à Genève. Le Temps, 19.12. 2024.
[48] Dans le canton de Vaud, la mise en exploitation d’un nouvel établissement pénitentiaire (Grands-Marais) est prévue pour fin 2027. A Genève, la planification pénitentiaire récente prévoit la construction de nouveaux établissements, dont un pour femmes.
[49] En Suisse, les personnes étrangères, surtout sans statut légal, représentent deux tiers de la population carcérale (71%).